En cette semaine dédiée aux infirmiers et aux infirmières, il est essentiel de rendre hommage à celles qui, bien que souvent méconnues, ont apporté des contributions significatives à la profession.
Parmi ces pionnières, je souhaite mettre en lumière trois femmes remarquables : Charlotte Edith Anderson Monture, Mary Seacole et Emma Goldman.
Ces femmes, pour la plupart issues de minorités ou de groupes marginalisés, ont souvent été reléguées dans l’ombre par le récit historique dominé par la suprématie blanche.
Hommage à ces figures de l’ombre
Charlotte Edith Anderson Monture (1890-1996)
En l’honneur de la journée des infirmiers et infirmières autochtones qui aura lieu le 6 mai 2024 prochain
Née au Nouvel An de l’année 1890, Charlotte Edith Anderson Monture est la plus jeune de huit enfants et a grandi dans la réserve des Six Nations de Grand River à Ohsweken, près de Brantford, en Ontario, au Canada. Malgré les nombreux obstacles dus à son origine autochtone, Charlotte a persévéré dans sa quête pour devenir infirmière autorisée. Après avoir été refusée dans des écoles d’infirmières en Ontario en raison de lois discriminatoires empêchant les autochtones de poursuivre des études après le primaire, elle a déménagé aux États-Unis pour poursuivre ses études. Son courage et sa détermination l’ont conduite à être la première infirmière autochtone canadienne, puis à servir comme infirmière militaire pendant la Première Guerre mondiale.
Après la guerre, Monture est retournée dans sa communauté des Six Nations, où elle a continué à travailler comme infirmière et sage-femme dans un hôpital local. Son engagement envers sa communauté et sa profession a été reconnu lorsqu’elle a été élue présidente honoraire de la Croix-Rouge d’Ohsweken en 1939. Elle a également élevé une famille de quatre enfants tout en continuant à prodiguer des soins et à soutenir sa communauté jusqu’à sa retraite en 1955. Son héritage continue d’inspirer par sa résilience, sa compassion et son dévouement envers sa communauté.
Mary Jane Seacole (1805-1881)
Infirmière noire reconnue pour avoir réussi malgré les préjugés raciaux d’une grande partie de la société victorienne
Mary Seacole, née à Kingston, en Jamaïque, en 1805, incarne la résilience et le dévouement. D’origine mixte, elle a été façonnée par une éducation unique, mêlant les traditions médicales de sa mère jamaïcaine et l’influence militaire de son père britannique. Son parcours l’a menée à travers le monde, des Amériques à l’Angleterre, puis à la Crimée pendant la guerre. En tant que cuisinière et fournisseuse de fournitures médicales, elle a bravé les préjugés raciaux pour offrir des soins médicaux aux côtés des soldats britanniques. Après avoir été exclue du groupe initial d’infirmières dirigé par Florence Nightingale, elle décide de se rendre seule sur le champ de bataille, parcourant 6 500 km à ses propres frais. Son dévouement sur le champ de bataille et son établissement du British Hotel, un refuge pour les blessés, témoignent de son courage et de son humanité extraordinaires. Elle soigne courageusement de nombreux blessés, souvent sous le feu, sans distinction entre les soldats ennemis et alliés.
Après la guerre, elle se retrouve sans ressources et survit grâce à l’aide de ses camarades de la guerre de Crimée. Bien que célèbre de son vivant, elle est tombée dans l’oubli pendant près d’un siècle après sa mort. Aujourd’hui, elle est reconnue pour sa bravoure et son expertise médicale, ainsi que pour son autobiographie pionnière.
Emma Goldman (1869-1940)
Infirmière juive, reconnue comme une agente de la révolution, du féminisme, de la liberté sexuelle et de l’anarchie
Emma Goldman, née en 1869 en Lituanie, est bien plus qu’une philosophe politique et écrivaine influente. En tant qu’infirmière et sage-femme, elle a consacré près de 13 ans à la profession infirmière, où elle a développé une perspective unique sur les injustices systémiques qui affectent la santé des communautés marginalisées. Son expérience à Blackwell’s Island, en tant qu’infirmière de prison, l’a conduit à une carrière d’activisme politique où elle a plaidé en faveur des travailleurs et des droits des femmes. Sa vie incarne le pouvoir transformateur des soins infirmiers et leur capacité à inspirer un changement social significatif.
« Aucune de ces femmes pionnières ne correspond à « l’idéal » Nightingale de l’infirmière ; ils étaient volontaires et rebelles et, par leur existence même, remettaient en question les normes racistes et sexistes. »
Traduction libre de Natalie Stakey-Doucet
Les impacts négatifs de l’héritage de Nightingale.
Bien qu’elle soit souvent célébrée comme une figure emblématique des soins infirmiers et de l’innovation dans ce domaine, il est crucial de reconnaître la face sombre de son héritage.
Florence Nightingale, en tant que fervente défenseure du colonialisme britannique, a soutenu des politiques et des pratiques qui ont causé des souffrances inimaginables aux peuples autochtones sous domination britannique.
Il est insuffisant de justifier ses actions en arguant du contexte historique de l’époque. Nombreux étaient ceux qui, même à cette période, remettaient en question les politiques coloniales oppressives. Florence Nightingale, en soutenant activement ces politiques génocidaires, porte une responsabilité morale indéniable dans les injustices et les atrocités commises.
Je vous invite à lire l’article éclairant de Natalie Stakey-Doucet sur ce sujet, qui expose de manière approfondie les implications du soutien de Nightingale au colonialisme britannique.
Valorisons nos compétences en offrant d’autres modèles à la profession
En outre, elle a également transmis à des générations ultérieures la croyance persistante selon laquelle les femmes sont destinées à servir et que les infirmières ont intrinsèquement le devoir d’obéir aux ordres du corps médical.
Sur ce point, je cite Madame Audrey Bujold, candidate au doctorat en sciences de la famille et chargée de cours en sciences infirmières à l’Université du Québec en Outaouais :
Alors que les infirmières et infirmiers du Québec souhaitent être reconnus pour leur expertise, nous continuons à valoriser Florence Nightingale comme la seule et unique figure de notre histoire. Cependant, en plus des enjeux raciaux et coloniaux associés à son héritage, Florence Nightingale a toujours promu la formation du « caractère » de l’infirmière plutôt que de ses compétences :
« Le produit fini, l’infirmière Nightingale, était simplement la dame idéale, transplantée du foyer à l’hôpital. » Traduction Libre (Ehrenreich et English, 2010, p.90)
Nous enseignons encore aujourd’hui aux étudiantes et étudiants en sciences infirmières le rôle important que les infirmières ont joué lors de la Guerre de Crimée. Cependant, une révision critique de l’histoire des professions typiquement féminines en santé offre une perspective bien différente. Nightingale, en prônant toujours l’obéissance comme caractéristique centrale de la profession infirmière, a empêché ses infirmières nouvellement formées de prendre soin des malades et blessés jusqu’à ce que les médecins leur donnent l’ordre formel :
« Lorsqu’elle [Florence Nightingale] est arrivée en Crimée avec ses infirmières nouvellement formées, les médecins les ont d’abord tous ignorées. Nightingale a refusé de laisser ses femmes lever le petit doigt pour aider les milliers de soldats malades et blessés jusqu’à ce que les médecins donnent l’ordre. Impressionnés, les médecins ont finalement cédé et ont demandé aux infirmières de nettoyer l’hôpital. » Traduction libre (Ehrenreich et English, 2010, p.94).
Cela marque le début d’une relation hiérarchique qui a perduré dans l’histoire, plaçant les infirmières et infirmiers en position subordonnée par rapport au corps médical.
En 2023, pouvons-nous envisager d’autres modèles d’infirmières et infirmiers qui mèneront la profession infirmière encore plus loin, et surtout, qui dépasseront ces visions antagonistes de ce à quoi nous aspirons en tant que discipline ?
Nous sommes les acteurs et actrices du changement
En tant que professionnel.le.s des soins infirmiers, il est impératif de revisiter notre histoire et de remettre en question l’adoration aveugle de certaines figures historiques, en tenant compte de leurs impacts néfastes sur notre discipline ainsi que sur les communautés marginalisées. Le modèle promu par Florence Nightingale, qui perpétuait une vision de la femme comme étant soumise et au service de l’homme médecin, continue de limiter la reconnaissance de nos compétences dans la société actuelle.
Comme l’affirmait Simone de Beauvoir : « On ne naît pas femme, on le devient. »
Il est temps de fournir une vision complète de l’histoire dans notre éducation.
Il est crucial de reconnaître et de célébrer les contributions remarquables des infirmières telles que Charlotte Edith Anderson Monture, Mary Seacole et Emma Goldman, qui ont consacré leur vie à promouvoir la santé et le bien-être de tous, indépendamment de la race, du genre ou du statut social.
Enfin, il convient de se demander si le maintien de la soirée Florence au sein de l’OIIQ est approprié. Peut-être est-il temps de la renommer et de la revitaliser pour refléter les valeurs inclusives et équitables que nous cherchons à promouvoir au sein de la profession infirmière. Nous avons de nombreux modèles inspirants sur lesquels nous pouvons nous appuyer afin de faire avancer notre discipline.
Il est temps de reconnaître et de célébrer la diversité des contributions des infirmières et des infirmiers à travers l’histoire, tout en remettant en question les récits dominants et en promouvant une vision inclusive et équitable de la profession.
Voici d’autres articles qui pourraient vous aider à approfondir votre réflexion sur l’histoire des soins infirmiers et sur l’héritage controversé de Nightingale:
Stake-Doucet, N. (2020, 5 novembre). The racist lady with the lamp. https://nursingclio.org/2020/11/05/the-racist-lady-with-the-lamp/